mardi 29 mai 2007

Les compétences du juge du paix en matière contentieuse


La sous-série BB/8/1391 à 2858 et 2888/2 à 2999 des Archives nationales se compose d’une succession régulière et homogène de dossiers de juges de paix, de leurs suppléants et de leurs greffiers.

Dans un billet précédent, nous avons vu les compétences en matière gracieuse et conciliatrice du juge de paix (du XIXe siècle jusqu’en 1958). Mais il a aussi une compétence en matière contentieuse.

En matière contentieuse, les fonctions du juge de paix consistent, au civil, à juger les affaires de la compétence des justices de paix (déterminées principalement par la loi du 25/5/1838 puis par celle du 12/7/1905), il s’agit :
  • des contestations entre les hôteliers, aubergistes ou logeurs, et les voyageurs ou locataires en garni pour dépenses d’hôtellerie, et pertes ou avaries d’effets;
  • des contestations entre les voyageurs et les voituriers ou bateliers pour retards, frais de route et perte ou avarie d’effets accompagnant le voyageur;
  • des contestations entre les voyageurs et les carrossiers ou autres ouvriers pour fournitures, salaires et réparations faites aux voitures de voyage;
  • des conflits entre propriétaires et locataires (non jouissance, réparations locatives, dégradations, pertes, etc.);
  • des actions en paiement de loyers ou fermages, congé, résiliation de baux, expulsion de lieux, et en validité de saisie-gagerie relative à des locations;
  • des conflits entre patrons et salariés ou domestiques;
  • des actions possessoires (maintenir ou réintégrer quelqu’un dans sa possession, sans juger sur la propriété : à l’occasion d’un élagage ou abattage de haie, d’un droit de passage…) et actions en bornage depuis 1838;
  • des problèmes de limites et séparations, de plantation d’arbres (élagage, distances de plantation), de curages des fossés ou canaux;
  • des actions pour dommages faits aux champs, fruits et récoltes;
  • des actions relatives aux constructions et travaux pouvant nuire aux propriétés contiguës;
  • des actions relatives au salaire des gens de travail, aux gages des domestiques, aux payements des nourrices et aux engagements des maîtres et de leurs ouvriers ou apprentis;
  • des actions civiles pour injures et diffamation (verbales depuis 1790, écrites sauf en matière de presse depuis 1838);
  • des rixes et voies de faits en l’absence de blessures;
  • des demandes de pensions alimentaires réclamées par des ascendants contre leurs descendants (ou inversement).

Enfin, en matière criminelle, la fonction du juge de paix consiste à juger certaines contraventions dont la connaissance leur est attribuée par le Code d’instruction criminelle (art. 137, 138) et à remplir les fonctions d’officier de police judiciaire (il reçoit les plaintes et les dénonciations, rédige de procès-verbaux en matières de flagrant délit, etc.).

Lorsque le juge de paix statue en matière criminelle, son tribunal cesse d’être désigné sous la qualification de justice de paix et prend le nom de tribunal de simple police. Le juge connaît toutes les contraventions de police simple qui peuvent donner lieu, soit à 15 fr. d’amende ou au-dessous, soit à 5 jours d’emprisonnement. Parmi les contraventions, il en est dont le juge de paix connaît exclusivement comme juge de police (contraventions commises dans l’étendue de la commune chef-lieu du canton, contraventions forestières, des injures verbales, des affiches, annonces, ventes, distribution ou débit d’ouvrages, écrits ou gravures contraires aux mœurs, etc.) et d’autres dont il ne connaît que concurremment avec le maire (contraventions commises dans l’étendue de leur commune qui ne soit pas chef-lieu de canton, par des personnes prises en flagrant délit ou par des personnes qui résident dans la commune ou qui y sont présentes, etc.).

Dans un prochain billet, nous verrons, documents à l’appui, les autres obligations du juge de paix.


mardi 15 mai 2007

Les compétences du juge de paix

La sous-série BB/8/1391 à 2858 et 2888/2 à 2999 des Archives nationales se compose d’une succession régulière et homogène de dossiers de juges de paix, de leurs suppléants et de leurs greffiers.

Dans le billet précédent, nous avons vu l’organisation, les attributions et les fonctions des justices de paix (du début du XIXe siècle à 1958). Voyons à présent les compétences en matière gracieuse, conciliatrice et contentieuse du juge de paix.

Le juge de paix est un magistrat. Il a une compétence en matière gracieuse, conciliatrice et contentieuse.

En matière gracieuse, le juge de paix :
  • donne des autorisations en matière de saisies conservatoires;
  • il appose les scellés après décès ou lève les scellés (sauf à déléguer son greffier), notamment en cas de faillite, ou de règlement judiciaire;
  • il convoque et préside les conseils de famille des mineurs, des absents, des interdits, des sourds;
  • il convoque et préside les conseils de famille pour la nomination des curateurs aux substitutions (on appelle curateur la personne chargée, soit par la justice, soit par un conseil de famille, de veiller aux intérêts de ceux qui ne peuvent y veiller eux-mêmes), pour la réduction de l’hypothèque générale des femmes mariées;
  • il dresse les actes d’émancipation, d’adoption, de tutelle officieuse (l’adoption est un contrat qui établit entre deux personnes des rapports de paternité et de filiation purement civils. La tutelle officieuse est un contrat de bienfaisance par lequel une personne s’oblige à nourrir et à élever gratuitement un mineur pour le mettre en état de gagner sa vie, et à administrer aussi sa personne et ses biens. Ces contrats sont passés devant la justice de paix ou dans un cabinet de notaire);
  • il délivre les actes de notoriété ; plus tard, il délivrera les certificats de nationalité (ordonnance du 19/10/1945, art. 149)...
  • etc.

La conciliation peut être considérée comme un acte de juridiction gracieuse. Il s’agit, en effet, d’une tentative d’arrangement que les parties effectuent devant un juge de paix avant de former une demande judiciaire. Un arrangement à l’amiable en somme.

Cette procédure débute par un préliminaire de conciliation (loi du 25/5/1838, art. 17, modifiée par la loi du 2/5/1855). Le greffier de paix adresse par la poste une lettre d’avertissement, encore appelée lettre ou billet d’avis, aux parties. Ce billet d’avertissement (d’abord «sans frais» puis coûtant 60 centimes à partir de 1871) invite les parties à comparaître en conciliation. Si les parties se concilient, le juge de paix ne dresse un procès-verbal de l’arrangement que si les parties le demandent; si les parties ne se concilient pas, le greffier le mentionne sur le registre d’envoi des avertissements.

Le juge de paix autorise alors la citation. La citation est un acte qui somme une personne à comparaître devant la justice de paix ou le tribunal de simple police…début des problèmes en somme.

Dans un prochain billet j'expliquerai la compétence du juge de paix en matière contentieuse.


vendredi 11 mai 2007

Les dossiers de juges de paix


La sous-série BB/8/1391 à 2858 et 2888/2 à 2999 des Archives nationales se compose d’une succession régulière et homogène de dossiers de juges de paix, de leurs suppléants et de leurs greffiers de la métropole.

À partir de 1947 figure aussi le personnel des justices de paix de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion. Pour le personnel des justices de paix d’Algérie et des colonies de 1848 à 1940, voir BB/6/(II)/1 à 1297. Classées année par année, et, chaque année, dans l’ordre alphabétique des départements, ces dossiers de personnel s’échelonnent sans interruption de 1895 à 1958.

Avant de vous présenter le contenu type d’un dossier de juge de paix, je voudrais vous expliquer rapidement l’organisation, les attributions et les fonctions des justices de paix.

Les justices de paix sont des tribunaux institués en 1790 et établis dans chaque chef-lieu de canton pour juger sommairement, des contestations d’une minime importance (petits litiges, actions civiles pour pertes, injures, rixes et voies de faits, contestations locatives entre métayers et bailleurs, actions pour dommages aux champs, etc.).

Les juges de paix sont les magistrats qui composent ces tribunaux. Ils sont assistés par 2 suppléants, non professionnels, chargés de remplacer les titulaires en cas d’empêchement de ceux-ci. Cette équipe est complétée par un greffier de justice de paix. La principale fonction de celui-ci consiste à écrire les sentences et les autres actes du juge. Dans les villes où il existe plusieurs justices de paix, le tribunal de simple police est distinct de ces tribunaux, et à son greffier en particulier.

D’abord élus pour 2 ans par des électeurs réunis en assemblées primaires (loi des 16-24/8/1790), les juges de paix furent nommés pour une période de 10 ans (à partir du sénatus-consulte du 16 thermidor an X) par le chef du gouvernement qui les choisit sur des listes de 2 candidats élus par des assemblées cantonales et présentés par le ministre de la Justice.

Les conditions principales exigées pour pouvoir être nommé étaient d’avoir la qualité de citoyen français, d’avoir plus de 30 ans et devoir résider dans l’une des communes du canton. La Charte de 1814 changea ce mode de nomination : ils furent dorénavant nommés par le roi, non plus pour 10 ans mais pour une durée illimitée (ils restent cependant amovibles) et sans condition de candidatures.

Dans un prochain billet j'expliquerai les compétences du juge de paix en matière gracieuse et contentieuse.

Voir l’inventaire complet

mercredi 9 mai 2007

Une pantoufle ensanglantée aux Archives

(pantoufle ensanglantée de la duchesse de Choiseul-Praslin)

Au petit matin du 17 août 1847 le duc de Choiseul-Praslin poignarde sa femme en la poursuivant à travers toutes les pièces. On peut suivre le trajet précis de cette tragédie à travers les traces de sang laissées sur le sol et dont un plan précieusement conservé dans le procès-verbal de cette procédure en CC 808-812.
Après un quart d’heure d’agonie la duchesse succombe. On retrouve du sang partout, sur les draps, sur sa chemise de nuit ainsi que sur cette pantoufle de la duchesse conservée sous la cote AE V/251 au musée de l’histoire de France.

De nombreuses pièces à conviction des différents procès du XIXe siècles étaient ainsi versées aux Archives nationales (échelle de corde, tube contenant de l’arsenic, étui à lunettes, portefeuilles, limes, mouchoirs tachés de sang, poignards, pistolets, cartouches, timbres, cachets, crâne humain…mais j’y reviendrais dans un prochain billet) sans qu’on fasse clairement le partage entre «document d’archives» et «pièces à conviction» et il a fallu attendre le milieu du XXe siècle pour qu’une circulaire (numéro J59903 du 27 février 1959) distingue les pièces des documents.

vendredi 4 mai 2007

L’affaire François Delamarre

La loi du 13-14 mars 1791 établit au Palais de Justice à Paris six tribunaux criminels provisoires chargés d’instruire et de juger tous les procès criminels existants avant le 25 janvier 1791 (voir notre billet précédent).

Une affaire qui a retenu notre attention dans le fonds des six tribunaux criminels provisoires (Z/3/1-116) est celle d’un certain François Delamarre.
Il avait été interpellé le 9 août 1791 par le commissaire de police de la section des Thermes-de-Julien au Petit-Café de la rue des Mathurins comme porteur de certificat de congés militaires en blanc ainsi que des cartouches des armes de France et des attributs relatifs aux congés militaires des troupes de ligne.
On perquisitionne chez lui et on y trouve les bois des cartouches (conservé aujourd’hui dans le carton Z/3/75).

(carton d'archive où l'on aperçoit le morceau du faux congé parmi d'autres pièces à conviction)

Cette affaire porte le n° 269, elle avait été instruite et jugée par le 5e tribunal criminel provisoire dont le ressort sont les sections de Notre-Dame, les Thermes-de-Julien, le Jardin-des-Plantes, les Gobelins ainsi que les cantons de Villejuif et Choisy-le-Roi. Le dossier de procédure est conservé dans Z/3/84 (dossier 14) et contient une vingtaine de pièces.

On l’interroge. François Delamarre est âgé de 42 ans, natif de Berhtouville (dépendant du diocèse de Lisieux, dans l’Eure), il est colporteur de livres.
Il dit avoir été commandité par une espèce d’aristocrate qui lui avait remis 36 livres pour obtenir ces cartouches qu’il dit avoir commandé à un nommé Conche, graveur de son état. Le commissaire lui fait observer qu’en sa qualité de colporteur de livres, il ne doit pas ignorer que de tels actes (obtenus par de pareils cartouches) ne sont imprimés que par l’imprimerie royale…et là Delamarre répond, et de bonne foi semble-t-il, que d’après lui, tous les officiers des troupes de lignes y compris les recruteurs avaient le droit d’imprimer de pareil congés (les faux donc…).
On demande alors l’avis au ministère de la Guerre des suites à donner à cette grave affaire. Entre temps Delamarre est mis en détention à la prison du Palais. D’autres pièces complètent le dossier : des assignations, des récolements et confrontation des témoins, etc. Cette affaire aurait du être portée au tribunal du 5e arrondissement puisqu’elle a commencé en août 1791 mais ici, il s’agit d’une «procédure extraordinaire» comme indiqué sur la chemise. Le greffe a saisi (indiqué sur la chemise), une clef et plusieurs tampons à graver.

(lettre de Delamarre du 29 mars 1792)

Le 29 mars 1792, Delamarre se plaint des mauvaises conditions de sa détention «je vous prie en grâce de vous rappeler que voilà le 6e mois que je suis dans la captivité en la misère la plus affreuse pour avoir commis tout au plus une imprudence duquel je me souviendrai le reste de mes jours», le scorbut le guette et il attend son jugement de la prison du Palais.

L’expertise tant attendue du ministère de la Guerre éclaire la suite du procès, sur l’utilisation des faux cartouches, il apparaît que la fabrication des cartouches de congés militaires en blanc n’est pas un délit en soi, seule constitue la fausseté d’un congé l’apposition des signatures contrefaits des officiers. Or on le voit bien sur ce congé militaire qu’aucune signature n’a été apposée.

Ainsi aucune charge ne pesant sur lui, Delamarre a été acquitté le 28 avril 1792. Le jugement manque dans le dossier, il est conservé en Z/3/72.

Voir l’inventaire complet

jeudi 3 mai 2007

Elle n'est pas belle ma sculpture madame ?

(détail de la scène centrale)

Voici l’autre volet de la toile sur le chambranle de mon bureau (voir mon billet précédent), il s’agit également d’une scène champêtre dont le cadre est une estrade antique aux colonnes ioniques au chevet de laquelle prône une sculpture d’un dieu.

Au milieu d’un troupeau de moutons, une femme (la bergère ?) assise sur un banc tresse un collier de fleurs et un homme (le berger ?) semble lui poser une question ou lui soumettre une proposition: «c'est quoi par là ?» (avec l'accent du français du XVIIIe siècle évidemment) ou «venez, nous serons mieux par là !»). C’est très ambiguë…

Au fond de la toile, se dégage un paysage d’où émerge un clocher au bord d’un étang.

J’ignore évidemment l’auteur de cette toile et encore moins le titre.

Amusons-nous à en forger un...

mercredi 2 mai 2007

Les tribunaux criminels provisoires de Paris

La loi du 13-14 mars 1791 établit au Palais de Justice à Paris six tribunaux criminels provisoires (correspondants aux six tribunaux d’arrondissement et composés de sept juges ou suppléants chacun), chargés d’instruire et de juger tous les procès criminels existants avant le 25 janvier 1791 (époque de l’installation des tribunaux d’arrondissement) et entamés avant la fermeture des juridictions de l’Ancien Régime en janvier 1791 (notamment le Châtelet et le Parlement criminel). Ils devaient donc juger des procès dont les procédures avaient déjà été commencées ailleurs.

(les six tribunaux criminels provisoires de Paris furent installés au Palais de Justice à Paris)

Ils commencèrent à fonctionner le 11 avril 1791 (affaire Françoise Galant femme de Christophe Mercier, Z/3/2). L’appel des jugements rendus par l’un de ces tribunaux était porté dans les formes prescrites à l’un des cinq autres tribunaux choisi par l’accusé.

Les six tribunaux provisoires furent supprimés par les décrets du 8-13 septembre et du 24-25 décembre 1792 et les procès en cours furent transférés dans les tribunaux d’arrondissement de Paris. Seul le 5e tribunal criminel provisoire continua de juger jusqu’au 17 décembre 1792 (affaire Valette, vicaire à Toulouse, Z/3/72). Cependant, de nombreux procès commencés après le 25 janvier 1791 furent, à tort, portés devant eux. La loi du 17-29 septembre 1791 leur renvoya enfin tous les procès criminels jusqu’à l’installation du tribunal criminel du département de Paris. Les décrets du 8-13 septembre et du 24-25 décembre 1792 supprima les six tribunaux provisoires et les procès en cours furent transférés dans les tribunaux d’arrondissement de Paris.

Mais les archives des tribunaux d’arrondissement et celles du tribunal criminel de Paris furent entièrement brûlées dans l’incendie du Palais de Justice en mai 1871. Seuls furent épargnés les dossiers des procès jugés entre avril 1791 et septembre 1792 par les six tribunaux criminels provisoires. Ils furent remis dès le 16 octobre 1792 par les commissaires chargés d’apposer les scellés sur les greffes, au citoyen Terrasse, garde des archives judiciaires puis versés aux Archives nationales (au Palais Soubise) en 1847.

Il en résulte que les archives relatives aux affaires criminelles de droit commun dans le département de Paris sont essentiellement les archives du tribunal des Dix (voir mon billet précédent) et des six tribunaux criminels provisoires. Ce qui explique l’importance de ce groupe documentaire de 116 cartons (Z/3/1 à 116) qui a fait l’objet d’un inventaire en 2006 (voir l’inventaire complet)

Dans un prochain billet, je vous raconterai une histoire très curieuse d’un nommé Delamarre accusé d’avoir fabriqué des faux cartouches des armes de France…