mardi 16 juillet 2013

Le château de Berny est-il à Antony ou à Fresnes ?

Le château de Berny vers 1640, vue d’un artiste contemporain (aquarelle de Christian Bénilan)
http://christianbenilan.wifeo.com/hauts-de-seine-sud.php
C’est par hasard que je trouve sur le site de Christian Bénilan ainsi que sur celui des Hauts-de-Seine, à la rubrique châteaux disparus des Hauts-de-Seine, qu’il existerait à Antony…un «château d’Antony».

Bigre ! cela demande explication…en fait, renseignement pris, il ne s’agit que du château de Berny (de ce qui reste du château pour être précis) et situé à Fresnes, limitrophe d’Antony.

Sur le site de Fresnes on nous informe que ce château «[a été] très largement démoli à la Révolution [et] il ne resterait aujourd’hui que le mur pignon de l’aile nord»...mais à quel endroit ? le site ne l’indique pas, et c’est finalement sur le site du Petit Patrimoine (http://www.petit-patrimoine.com/) qu’une «façade intégrée dans une résidence» est localisée au 6 promenade du Barrage (coordonnées GPS : N 48.75925° E 002.31320°) comme seul vestige de l’ancien château, avec, soit dit en passant, d’excellentes photographies de la dite façade.


Façade du reste du château de Berny
intégrée dans une résidence

Source : Structurae
http://fr.structurae.de/photos/index.cfm?id=18994

D’autres photographies sont également disponibles sur Structurae, la base de données internationale du patrimoine du génie civil http://fr.structurae.de/, lequel site donne aussi une chronologie succincte de l’édifice ainsi qu’une bibliographie sommaire.

Sur l’histoire du château de Berny, voyez en long et à travers les nombreux copier-coller qu’on trouve sur tous les sites et qui reprennent la même litanie : c’est à François Mansart, alors âgé de 26 ans, que les Brûlart de Sillery, seigneurs de Berny, confient la construction du nouveau château vers 1630-1635. Puis, Pomponne de Bellièvre, président du parlement de Paris, son nouveau propriétaire en 1646, poursuit son embellissement…. C’est le marquis de Fresnes, Hugues de Lionne, qui l’achètera en 1653 pour être ensuite revendu à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés en 1682, puis à Louis de Bourbon-Condé en 1718 jusqu’à ce qu’il soit vendu comme bien national à la Révolution et démoli à partir de 1808...

Ne subside alors que le parc (entièrement sur Antony) et une façade (à Fresnes)…en définitif, personne n’a donc tort, le château de Berny et son parc se trouvaient à la fois à Antony et à Fresnes.

Sur Antony, le parc devient un champ de courses de chevaux puis est vendu en parcelle comme l’atteste les très nombreuses affiches de vente du premier XXe siècle qu’on peut encore voir à l’Atelier-Musée du pays d'Antony (AMPA) au sous-sol de la Maison des Arts, parc Bourdeau, rue Velpeau (face à la gare), voir aussi leur site http://appa.antony.free.fr/index.html.






Tout le long du XXe siècle, ce champ de course sera ainsi progressivement loti au gré des ventes des terrains de l’ancien domaine de Berny, à une période où la demande de terrains à bâtir dans cet endroit bien desservi par des lignes de chemin de fer (argument mis en avant par cette affiche) et qui entraîna comme aujourd’hui, une spéculation immobilière sur toute la commune d’Antony. On donnera ensuite les dénominations qu’on connaît (avenue Victor-Hugo, rue de l’Ancien-Château, etc.).

L'avenue Victor-Hugo, ancien parc du château de Berny
et ancien champ de course loti au début du XXe siècle.

 Le château quant à lui, sera démoli donc à la Révolution et il ne resterait aujourd’hui que la seule façade d’une aile coincée entre la rue de l'Ancien Château (à Antony), la rue Jules Guesde (à Fresnes) et la Promenade du Barrage (à la fois à Antony et à Fresnes)…

Bref, laissons aux spécialistes de décider si le château de Berny est à Antony ou à Fresnes et intéressons-nous plutôt aux actes du Minutier central des notaires de Paris concernant ce château disparu.

Dans la base Minutes (encore consultable au Caran mais bientôt intégrée dans la SIA/SIV des Archives nationales, voir nos précédents billets sur cette migration), on trouve une trentaine de références sur «Berny» et «château» (un peu plus de 250 références en cherchant sur «Berny» seul).
Voici ces actes par ordre chronologique, suivis des cotes entre parenthèses :


  • Sur Brulart (Pierre) chevalier, vicomte de Puisieux, conseiller du Roi, premier secrétaire de ses commandements : devis et marché de maçonnerie par François Boullet, maçon juré à Paris, pour le château de Berny, appartenant à Pierre Brulart, et acceptant par Charlotte d'Étampes, son épouse et procuratrice dudit seigneur, moyennant 26 livres la toise (avec plusieurs quittances et mainlevée de Pierre Brulart), 27 novembre 1623 (MC/ET/XXIV/311).
  • Sur un certain Guillaume Blondeau carrier à Gentilly, qui promet à François Boullet, maçon, de fournir toutes les pierres destinés à la construction du château du Berny, 30 décembre 1623 (MC/ET/XXXIX/655).
  • Une constitution de rente par Pierre Brulart, chevalier, vicomte de Puisieux, premier secrétaire de ses commandements, et Charlotte d'Étampes de Valencay, son épouse, à présent en leur château de Berny près de Paris, à Auguste Galland, conseiller du Roi en ses conseils d'État et privé, et son procureur général en sa maison de Navarre, demeurant rue du cimetière Saint-André-des-Arts, de 200 l. de rente appartenant à Pierre Brulart comme héritier de défunts Nicolas Brulart, chancelier de France et de Navarre et Claude Preudhomme, son épouse, ses père et mère, moyennant 3 326 l., sur le même acte, un mariage de Marthe Laloy, au service de Pierre Brulart, en leur présence, 18 octobre 1625 (MC/ET/XXIV/315).
  • Une constitution de rente du 4 juin 1625 par Charlette d'Étampes, épouse et procuratrice de Pierre Brulart, à Charles Sanguin, écuyer, de 500 l. Autre rente, moyennant 8000 l. avec en marge du 20 août 1627 d’un rachat par Pierre Brulart (MC/ET/XXIV/314).
  • Un marché conclu par Boullet (François), juré en maçonnerie, pour deux voituriers par terre à Paris pour enlever les recoupes de pierre de tailles qui se trouvent dans la principale cour du château de Berny où est le bassin de fontaine, 6 janvier 1626 (MC/ET/XXXIX/58).
  • Une constitution de rente par Nicolas Mennessier, faisant les affaires de Pierre Brulart, à Jacques Amelot (et à la suite : un rachat par Pierre Brulart), une procuration de Pierre Brulart audit Mennessier du 15 janvier 1626 (MC/ET/XXIV/316).
  • Un marché conclu entre Mathurin Delacroix voiturier par terre au faubourg Saint-Victor paroisse Saint-Nicolas du Chardonnet et Boullet (François) juré en maçonnerie pour enlever les recoupes de pierre de taille et autres gravois qui se trouveront dans la première cour du château de Berny et les transporter dans l'allée qui se fait dans le pré allant vers Fresnes moyennant 60 l., 28 janvier 1626 (MC/ET/XXXIX/58).
  • Un marché de ciment par Vatel (François) marchand cimentier demeurant en l'Ile Notre-Dame à François Guichard, maître paveur, pour le château de Berny, 3 février 1626 (MC/ET/XI/110).
  • Une obligation de François Guichard, maître paveur à Paris, envers François Vatel, marchand cimentier à Paris, de 250 livres en prêt et marché, pour ladite somme, de 10 muids de ciment de tuiles et que ledit Vatel s'engage à livrer au Château de Berny, à raison de 20 livres par muid, 3 février 1626 (MC/ET/XI/110).
  • Une constitution de rente par Charlotte d'Étampes, épouse et procuratrice de Pierre Brulart, à Vincent Nevelet, conseiller du Roi, auditeur en sa chambre des Comptes, de 500 l., 5 mai 1626 (MC/ET/XXIV/317).
  • Un bail par Nicolas Mennessier, agent des affaires de Pierre Brulart, chevalier, seigneur de Berny et autres lieux, pour 6 ans, à Nicolas Dollumier, charpentier-meunier à Palaiseau, d'un moulin à eau en la basse cour du château de Berny, moyennant 850 l. par an avec entretien du moulin et des eaux, 22 décembre 1626 (MC/ET/XXIV/318).
  • Un bail par Nicolas Mennessier, agent des affaires de Pierre Brulart, chevalier, vicomte de Puisieux, à Jean Gallier, Robert Geoffroy, Hiérosme Blondeau et Germain Gallier, tous laboureurs à Antony, des prés dépendant du château de Berny, 21 janvier 1627 (MC/ET/XXIV/319).
  • Un devis et marché par lequel Arnould Baroy maître serrurier à Fresne proche Berny promet à Anthoine Ruze, surintendant des finances de faire les travaux pour le château de Chilly, 11 avril 1627 (MC/ET/XIX/395).
  • Une procuration de Pierre Brulart, étant en son château de Berny, à son épouse pour recevoir de Jacques d'Étampes, chevalier, seigneur, Châtelet de Valencay, frère de ladite dame, ce qui lui revient des héritages de leurs défunts père et mère, suivant le contrat de mariage de Pierre Brulart du 11 janvier 1615, 15 avril 1627 (MC/ET/XXIV/319).
  • Plusieurs actes dont des comptes entre Pierre Brulart et Pierre Boullet, maçon, de travaux faits au château de Berny. (plusieurs quittances à la suite), mai 1627 (MC/ET/XXIV/320).
  • Des comptes entre Pierre Brulart, chevalier, vicomte de Puisieux, Charlotte d'etampes, son épouse, et des quittances entre Boullet (François), maçon, demeurant rue des Gravilliers sur tous les ouvrages de maçonnerie faits pour le château de Berny, non compris ceux faits aux fermes dépendant du château ; moyennant quoi il est dû 18 200, 15 juin 1627 (MC/ET/XXIV/320).
  • Un bail par Pierre Brulart, chevalier, vicomte de Puisieux conseiller du Roi, demeurant rue d'Orléans, paroisse Saint-Eustache, pour 3 ans, à Pierre Laurens, meunier du moulin de Berny et Geneviève Tranchart, sa femme, de 69 arpents 62 perches de prés dépendant du château de Berny à prendre depuis le versoir du pavillon descendant jusqu'au moulin, moyennant 20 l. par arpent et 2 douzaines de gros chapons par an, 22 décembre 1631 (MC/ET/XXIV/333).
  • Autre bail par Pierre Brulart, chevalier, marquis de Sillery, pour 3 ans, à Pierre Laurent, meunier du moulin de Berny et Geneviève Tranchart, sa femme, à Jean Crette chirurgien demeurant au Bourg la Reine et Claire Vare, sa femme, de 69 arpents, 62 perches de pré avec la tonture des saules, alentour des prés, dépendant du château de Berny moyennant 20 livres et 2 douzaines de gros chapons par an, 1er mars 1634 (MC/ET/XXIV/340).
  • Encore un autre bail par Pierre Brulart, chevalier, marquis de Sillery, pour 5 ans, à Pierre Laurent, meunier au moulin de Berny et à Jean Crette, chirurgien à Bourg-la-Reine, de prés aux alentours et dépendant du château de Berny, moyennant 22 l. par arpent, 7 janvier 1637 (MC/ET/XXIV/346).
  • Un transport par Pierre Brulart, chevalier des ordres du Roi, à Antoine Gallier et Claude Dorleans, sa femme, ses receveurs et fermiers de la terre de Fresnes, du revenu total des fermes, terres et dépendances des château, terre et seigneurie de Berny moyennant 11000 l. par an. et un bail par le même aux mêmes de la terre et seigneurie de Fresnes, moyennant 12 500 l. par an, 17 août 1639 (MC/ET/XXIV/415).
  • L’inventaire après décès de Pierre Brulart, chevalier marquis de Sillery, continué au château de Berny, plusieurs pièces de tapisserie, tableaux prisés par Nicolas Du Chastel et Augustin Quesnel, maîtres peintres à Paris, ornements de la chapelle prisés par Jacques Remy, maître brodeur à Paris rue Saint-Honoré, etc. 26 avril 1640 (MC/ET/XXIV/355).
  • Le contrat de mariage entre Pierre Blocteur, dit Bouton, concierge au château du cardinal de Bissy, Germigny, et Marie-Madeleine Cretté, veuve de Séverin Belligon, concierge au château du cardinal de Bissy à Berny, 25 août 1723 (MC/ET/I/312).
  • Autre contrat de mariage entre Louis Claudin, marchand, Germigny-l'Evêque, près de Meaux, et Marie-Anne-Henriette Beligon, fille de feu Séverin Beligon, concierge du château de Berny, Germigny-l'Evêque, près de Meaux, 13 avril 1736 (MC/ET/I/376).
  • Délégation par Jean-François Marteau, entrepreneur de bâtiments, envers Yves de Vanembras-de-Fourneaux, écuyer, architecte toiseur, de la somme de 986 livres 18 sols à prendre sur le prix des ouvrages faits par Marteau "pour les économats au château de Berny", pour s'acquitter envers Vanembras de la même somme "pour honoraires de toisé d'ouvrages", 22 janvier 1779 (MC/ET/XXVII/400).
  • Inventaire après décès de Joseph Cousin, ancien traiteur à Berny, veuf de Marie-Claude Aubert, demeurant en une maison dépendant du château de Berny, donnant sur le chemin de Choisy, 16 juillet 1782 (MC/ET/XXVII/425).
Avis aux amateurs d’histoire locale pour des histoires à venir donc…

Pour ma part, je me suis intéressé à l’acte du 6 février 1619 dans lequel Nicolas Brûlart procède à une donation-partage entre ses trois enfants : outre leur dot, les dames Dauvet et de Bellièvre qui recevraient après son décès, une somme de 30000 livres ainsi que l'une la baronnie de Boursault près d’Épernay estimées chacune à un revenu de 8.000 livres, le reste des biens, seigneuries comme valeurs mobilières, dont le chancelier conservait l'usufruit, devait revenir à son fils, Pierre Brûlart, vicomte de Puisieux (ET/MC/XXIV/306).

Plus tard, le 26 juillet 1620, le Chancelier faisait encore passer par son intendant un marché pour la construction d'une «grande basse-cour et d'une ménagerie» avec Claude David. Après le décès du Chancelier en octobre 1624, ce fut sa belle-fille, Charlotte d’Étampes de Valençay, qui passe le 27 novembre 1623 un énième marché de maçonnerie avec François Boullet, pour la construction d'un pavillon destiné à abriter un escalier selon «l'ichnographie, orthographie et scénographie faictz par François Mansart».
Et c’est trois ans plus tard que le chantier s'achevait après que le serrurier Barroy s'engage à fournir un balcon de fer forgé dans un énième marché dressé le 15 juin 1627 (MC/ET/XXIV/320) avec le maçon Boulet «moyennant quoi il est dû 18 200 £.» (c’est en effet le solde restant après imputation des acomptes parce que le montant total de la dépense n'y est malheureusement pas porté).

Avis aux amateurs d’histoire locale pour d’autres histoires à venir sur le château de Berny…